L’île aux Parfums pervers

En exploration à Mayotte, je me suis confrontée au pluralisme culturel de l’île aux Parfums : tiraillée entre héritages africain et asiatique, de confession musulmane mais régie par un système matriarcale, Mayotte célébrait sa départementalisation en 2011.

Paradoxes culturels certes, mais pas que… économiques et sociaux surtout. La misère côtoie la vie douce des fonctionnaires métropolitains, les camions d’anjouanais expulsés par la PAF croisent les 4×4 des entrepreneurs qui exploitent ces exilés au black, venus en kwassa kwassa, au péril de leur vie.

Au racisme et à la violence répondent la nonchalance et les sourires mahorais, ravis de devenir département français et de bénéficier des aides sociales, après avoir été colonie, puis territoire d’outre-mer pour l’exploitation des odeurs raffinées qu’elle distille… Certains bakokso disent encore “Bonjour, Patron” pour saluer le “mzoungou”, l’homme blanc.

C’est en lisant La Cité Perverse de Dany Robert-Dufour*, philosophe, que mon regard s’est étayé sur notre société post-coloniale : l’occidentalisation pollue un lagon avec ses produits non biodégradables, la consommation est érigée comme démocratisation à coups de grands panneaux publicitaires et l’avènement d’une économie et d’une nouvelle culture s’enracinent dans les mangroves de manière… carrément perverse.

Tout en me confrontant à la difficulté de photographier la population, majoritairement musulmane pour qui la photographie capture l’âme, j’ai opté pour les jeux de miroirs, les écrans, qu’ils soient publicitaires ou imagés, pour témoigner de ce bouleversement territorial.

“Aujourd’hui, nous en sommes à un nouveau contrat qui aligne d’un côté l’hyperbourgeoisie et, de l’autre, non plus le producteur mais le consommateur prolétarisé. Et ce que l’hyperbourgeoisie signifie alors, ce n’est plus “Travaille pendant que je m’occupe des arts”, c’est : “Consomme et regarde bien comment, moi, je jouis. Et tâche donc d’en faire autant, dans la mesure de tes moyens !”

La Cité Perverse, Libéralisme et pornographie, Dany-Robert Dufour

* Une critique qui fouette l’art ? Lire cet article paru dans Le Monde Diplomatique : Art contemporain, les créateurs en manque de provocation